Séjourner pendant l’été

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Séjourner pendant l’été

Comme tous les hôtels laurentiens de l’époque, le Gray Rocks, pendant les deux ou trois premières années de son existence, n’ouvre ses portes que pendant la belle saison. Les premiers amis et clients américains commencent à arriver vers la fin du printemps souvent pour un séjour de pêche. Ils sont suivis par ceux qui veulent profiter du magnifique emplacement au bord du lac pour combler leur rêve de vacances. Finalement, les chasseurs débarquent vers la fin septembre pour une ultime expédition avant la fermeture de l’établissement.

Même quand le Gray Rocks décide d’ouvrir toute l’année un peu avant 1910, le modèle des occupations estivales reste sensiblement pareil. Mais qu’est-ce qui attire donc la clientèle?

L’hébergement

Les amis de la famille qui sont venus avant 1905, constituent le noyau de la clientèle du nouvel hôtel. Maintenant que chacun paie sa quote-part, ils peuvent sans gêne en inviter d’autres à les imiter. Les Wheeler les reçoivent chez eux, dans leur maison, dans leur propriété… comme des amis ou de la famille. Madame fait la cuisine, les enfants aident au service et à d’autres petits travaux. L’ambiance est donc familiale et cordiale, on se retrouve en fin de journée pour prendre un verre, souper ensemble et meubler la soirée de discussions, de musique, de chansons ou d’histoires.

Après 1914, lorsque l’auberge est agrandie à trente-cinq chambres, un peu plus d’employés se greffent à l’équipe familiale. Les Wheeler tiennent cependant à l’atmosphère qu’ils ont développée et considèrent les nouvelles recrues comme faisant partie de leur grande famille. Cet accueil chaleureux se perpétue donc au fil du temps et devient finalement un des grands atouts de l’établissement.

Les activités

Il est certain que les activités aquatiques vont évoluées entre 1906 et 1949. Le bronzage et la baignade ne sont pas l’apanage des gens au début du vingtième siècle. On leur préfère une place confortable sur la grande galerie face au lac d’où l’on peut admirer le paysage et s’adonner à la lecture, à la correspondance, à une partie d’échecs et même faire une petite sieste. Le calme campagnard et le chant des oiseaux modulent les après-midi.

Les personnes plus actives s’entraînent sur les rames des chaloupes ou la pagaie des canots ou apprennent à manœuvrer les voiles.

Quelques décennies plus tard, la baignade et la natation commencent à être au goût du jour. La plage est plus fréquentée autant par les messieurs que les dames et sa popularité s’accélère au fil des années. Le bain de soleil prend de l’importance car il fait bon se réchauffer au sortir du lac surtout que maintenant une peau basanée est un nouveau critère de santé.

La simple chaloupe gagne en vitesse avec l’apparition du moteur, cet engin est à l’origine de plusieurs modifications faites aux embarcations. Le leitmotiv « toujours plus vite » semble déjà dicter les prochaines avancées dans ce domaine.

Le décor enchanteur du lieu invite aussi à la marche. Quant au jeu de croquet, s’il demande habileté et patience, il demeure un moment d’échanges très prisé socialement.

Le golf

Un des plaisirs de séjourner au Gray Rocks Inn l’été, c’est que les amateurs de golf peuvent pratiquer leur sport préféré et ce, depuis 1920. Inutile de dire que les « gens de la place » n’ont pas la moindre idée de ce « jeu » lorsque les propriétaires décident à cette époque de préparer un terrain à cet effet. Par contre, leurs clients américains, fortunés pour la plupart, s’y intéressent déjà ou sont heureux de profiter de leur période de vacances pour s’y initier.

Importé d’Écosse, ce nouveau sport consiste à frapper une petite balle avec un bâton qui ressemble à un hockey en plus court et qu’on appelle club. Pour gagner, il faut envoyer cette balle dans une coupe insérée dans le sol… avec le moins de coups possibles sur un parcours de 18 trous.

Au début, le golf du Gray Rocks n’a que 9 trous que l’on joue deux fois pour respecter la règle. L’amélioration du parcours se fait par étape, à mesure que les standards s’établissent. Le Gray Rocks est quand même le premier à offrir un véritable 18 trous dans les Laurentides.

À la fin des années 1940, le parcours de golf a déjà une bonne réputation. Des clients choisissent spécifiquement cet hôtel pour profiter de ce terrain et des leçons de ses pros.

La pêche et la chasse

La pêche et la chasse sont les activités premières pour lesquelles les amis et clients américains se sont déplacés vers ce coin du bout du monde. Les cours d’eau poissonneux et les forêts giboyeuses ont, bien avant le golf ou le ski, attiré les touristes dans les Laurentides et particulièrement au Gray Rocks.

Le voyage de pêche printanier devient vite un rituel pour plusieurs visiteurs. Aux débuts, les cours d’eau des alentours et le lac lui-même offrent une source prodigieuse de poissons. Bientôt, plusieurs clubs privés accessibles aux Wheeler et à leurs clients multiplient leur chance de succès. Dès les années 1920, au moment où le transport par avion est introduit dans le domaine, la saison et l’éventail des endroits où aller pêcher s’élargissent. Autant la clientèle du Gray Rocks que celle encore plus aisée qui fréquente le Lac Ouimet Club bénéficie de ces excursions aux confins du Grand Nord, jusqu’à la Baie James.

Comme la pêche, la chasse devient vite une activité annuelle que renouvellent les clients. Son développement suit un profil semblable à celui de la pêche : d’abord, les forêts avoisinantes, puis les clubs privés et les étendues nordiques. Chevreuils, orignaux, ours sont d’abord les gibiers convoités mais avec l’ouverture du Grand Nord, l’oie et le caribou s’ajoutent à la liste au grand plaisir des amateurs.

Le  carnaval

Le carnaval

Le carnaval

En début des années 1950, des organisateurs enthousiastes, un vrai palais de glace, une reine, des duchesses et un bonhomme carnaval, des activités sportives et sociales, voilà tous les ingrédients des premières éditions du Carnaval d’hiver de Saint-Jovite! Mieux « meubler » ce temps creux de saison, favoriser l’économie touristique hivernale et permettre à ses concitoyens de vivre du bon temps, rien de mieux pour le moral. Alors de la fin janvier jusqu’à la mi-février, avant le carême cela va de soi, des programmes sportifs, des soirées dansantes et folkloriques de même que plusieurs autres activités sont à l’honneur.

Qui dit carnaval, dit reine! Ici, elle est choisie à l’issue d’un concours d’art oratoire jugé par des enseignants et l’inspecteur d’école. Après tout Sa Majesté doit être capable de s’adresser à ses sujets et être une bonne ambassadrice car elle assiste à toutes les activités. Bien sûr, elle est accompagnée de ses duchesses, au nombre de cinq à sept, sélectionnées parmi les autres lauréates du concours. La soirée du couronnement et la traditionnelle parade où elles sont les vedettes du dernier char allégorique sont leurs moments de gloire.

Pour bien être dans la note des festivités, les hommes arborent la ceinture fléchée, symbole de tradition transmise par les autochtones mais maintenant réalisée par les doigts agiles des épouses. Si les ceinturons gardent les manteaux bien fermés afin de contrer le froid, certains usent d’une autre astuce et ne jurent que par le « p’tit caribou »! Fabriqué soi-même ou acheté, un petit flacon est toujours bienvenu pour se réchauffer les sangs, parfois de façon inusité car le précieux liquide est dissimulé dans une canne!

Gageure au hockey

Gageure au hockey

Gageure au hockey

Comme toujours l’hiver est long et les activités rares!  Vers 1929, il y a au moins la patinoire du village et on en profite pour organiser des parties de hockey.  Deux équipes se forment et la joute commence sous l’œil vigilant de l’arbitre.  Des paris sont lancés sur l’issue de la partie.  Mais une chose est sûre, l’entraîneur de l’équipe perdante aura à subir une punition cocasse.

Attention, la fin du match approche et les joueurs redoublent d’effort pour éviter que  leur entraîneur soit soumis au châtiment convenu.  Mais il y a toujours un perdant… Le juge du moment et les amateurs l’accompagnent ou l’amènent, s’il y a résistance, en face du magasin général.  Aujourd’hui, le défi à relever : faire rouler un ballon avec son nez en suivant la ligne la plus droite possible jusque devant le presbytère!   À genoux et les mains dans le dos, il s’exécute sous les directives, les encouragements ou les invectives des spectateurs. Il a intérêt à garder la bonne direction car s’il s’en éloigne, coup de sifflet et il doit retourner au point de départ.  À mi-parcours,  devant l’église, court repos de cinq minutes…  et sa randonnée à genoux reprend.  L’inspecteur qui joue la sévérité relève tous les manquements et parfois s’amuse avec un peu d’exagération à le faire recommencer au grand plaisir des observateurs.

Une fois l’épreuve réussie… la fête se poursuit à l’intérieur!  Repas, danses et chansons à répondre compléteront cette aventure amicale.

Que voulez-vous, on s’amuse comme on peut!

La plus jolie église du Nord!

La plus jolie église du Nord!

La plus jolie église du Nord!

À la mission du Grand-Brûlé, le jeune abbé Ouimet est fier de célébrer sa première messe paroissiale au second étage du presbytère, dans la vaste pièce à peine finie où des madriers sont posés sur des bûches en guise de bancs. Il a judicieusement choisi la date, le 15 février 1880, jour même de la fête religieuse des frères martyrs Jovite et Faustin. En 1882, la nouvelle paroisse compte déjà 150 familles et la chapelle devient vite trop petite.

L’année suivante, Mgr Thomas Duhamel accorde la permission au curé Ouimet d’ériger une plus grande église. Il insiste pour qu’elle soit construite en pierres, « semblable à celles des vieilles paroisses de la vallée du Saint-Laurent ».

Mais il faut trouver de l’argent! La Fabrique vend donc cent arpents de terrain à François Léonard au prix de 1 200 $. Celui-ci accepte en plus de scier gratuitement le bois nécessaire à l’édification de l’église. Les familles ne sont pas riches, mais elles sont heureuses de contribuer pour un beau monument de pierres, une belle église paroissiale digne de leur foi et de leur courage. Elles font beaucoup de sacrifices pour y arriver. En 1887, les travaux débutent officiellement et les entrepreneurs Martineau et Fauteux en assurent la construction pour un coût d’environ 20 000 $.

Deux années plus tard, le 19 décembre 1889, devant une foule considérable venue de tous les coins de la Rouge et de la Diable, c’est un curé Labelle ravi et fier de ses ouailles qui bénit solennellement la nouvelle église. Cérémonie émouvante qui représente, pour le nouveau « Monseigneur », la consécration de l’œuvre monumentale à laquelle il se dévoue corps et âme : coloniser le Nord. De leur côté, les paroissiens s’enorgueillissent de cet exploit. Ils ont réussi à édifier une église de pierres, symbole de prospérité, seulement quinze ans après l’arrivée des premiers colons. Alors même si l’ouvrage n’est pas tout à fait complété, le cœur est à la fête. Tous les gens sont fébriles et célèbrent avec joie cet accomplissement!

Le parachèvement de l’édifice se fera dans les années suivantes, la sacristie dès 1890 et la finition intérieure en 1896. Ce beau bâtiment répondra aux besoins de la paroisse jusqu’en 1930.

Le train entre en gare!

Le train entre en gare!

Le train entre en gare!

Depuis si longtemps que les colons espèrent les gros chars, ils n’en parlent plus qu’en soupirant, au point que même les vieux n’y croient plus. Et voilà qu’un beau jour, ils arrivent! Leur lointain sifflement se mêle aux hurlements des loups, trois soirs par semaine! Les gros chars assurent désormais le transport du fret et des voyageurs entre Sainte-Agathe et la gare de Saint-Jovite-Station.

Le 26 octobre 1893 marque une date importante dans les annales du village. En ce jour d’inauguration officielle du trajet du chemin de fer jusqu’à la Chute-aux-Iroquois (actuellement Labelle), personnalités et villageois se sont donné rendez-vous à la nouvelle gare à l’architecture néogothique. Tous groupés sur le quai de bois neuf, endimanchés, fébriles, ils pérorent et parlent de prospérité. « Voilà réalisé le rêve de notre regretté curé Labelle », murmure le curé Ouimet. Dans un coin, le gérant et les ingénieurs de la Perley discutent avec le maire et projettent d’ajouter des résidences à leur bureau près de la gare. « Enfin, nous transporterons notre bois scié plus rapidement vers les États-Unis », se réjouit le gérant Graham, en tirant une longue pipée de satisfaction.

Au hurlement du train le long du ruisseau Noir, les enfants apeurés s’inquiètent : « C’est un démon ou bien un monstre qui arrive ». Pour seule réponse, un gros panache de fumée apparaît et le train s’immobilise bientôt dans un crissement effroyable. Les petits se bouchent les oreilles et écarquillent les yeux : c’est bien un monstre, un énorme cheval de fer noir qui sort peu à peu de toute cette boucane!

Les plus vieux applaudissent chaudement l’arrivée de ce train spécial venu de Montréal, transportant plusieurs dignitaires, dont les honorables Guillaume-Alphonse Nantel et Joseph Adolphe Chapleau. L’instant est souligné de généreuses poignées de main et de discours de circonstance. Pour clôturer la cérémonie, une jeune fille offre une gerbe de fleurs à l’honorable Chapleau et accompagne son geste d’une brève allocution.

Pour les épouses des colons, c’est la fin d’un long calvaire! Elles pourront désormais aller visiter leur famille à Sainte-Agathe ou à Sainte-Thérèse, se rendre à l’hôpital en cas de maladie grave et leurs courriers et marchandises arriveront de façon plus régulière. Elles rêvent l’espace d’un instant que leur vie sera moins pénible!