Le train entre en gare!

Depuis si longtemps que les colons espèrent les gros chars, ils n’en parlent plus qu’en soupirant, au point que même les vieux n’y croient plus. Et voilà qu’un beau jour, ils arrivent! Leur lointain sifflement se mêle aux hurlements des loups, trois soirs par semaine! Les gros chars assurent désormais le transport du fret et des voyageurs entre Sainte-Agathe et la gare de Saint-Jovite-Station.

Le 26 octobre 1893 marque une date importante dans les annales du village. En ce jour d’inauguration officielle du trajet du chemin de fer jusqu’à la Chute-aux-Iroquois (actuellement Labelle), personnalités et villageois se sont donné rendez-vous à la nouvelle gare à l’architecture néogothique. Tous groupés sur le quai de bois neuf, endimanchés, fébriles, ils pérorent et parlent de prospérité. « Voilà réalisé le rêve de notre regretté curé Labelle », murmure le curé Ouimet. Dans un coin, le gérant et les ingénieurs de la Perley discutent avec le maire et projettent d’ajouter des résidences à leur bureau près de la gare. « Enfin, nous transporterons notre bois scié plus rapidement vers les États-Unis », se réjouit le gérant Graham, en tirant une longue pipée de satisfaction.

Au hurlement du train le long du ruisseau Noir, les enfants apeurés s’inquiètent : « C’est un démon ou bien un monstre qui arrive ». Pour seule réponse, un gros panache de fumée apparaît et le train s’immobilise bientôt dans un crissement effroyable. Les petits se bouchent les oreilles et écarquillent les yeux : c’est bien un monstre, un énorme cheval de fer noir qui sort peu à peu de toute cette boucane!

Les plus vieux applaudissent chaudement l’arrivée de ce train spécial venu de Montréal, transportant plusieurs dignitaires, dont les honorables Guillaume-Alphonse Nantel et Joseph Adolphe Chapleau. L’instant est souligné de généreuses poignées de main et de discours de circonstance. Pour clôturer la cérémonie, une jeune fille offre une gerbe de fleurs à l’honorable Chapleau et accompagne son geste d’une brève allocution.

Pour les épouses des colons, c’est la fin d’un long calvaire! Elles pourront désormais aller visiter leur famille à Sainte-Agathe ou à Sainte-Thérèse, se rendre à l’hôpital en cas de maladie grave et leurs courriers et marchandises arriveront de façon plus régulière. Elles rêvent l’espace d’un instant que leur vie sera moins pénible!